LE LONG d’une rivière, des cygnes cheminent paisiblement, avant de se volatiliser le lendemain. Le phénomène n’est pas rare en Île-de-France, si l’on en croit les associations de préservation de la nature et les amateurs d’oiseaux. Les unes et les autres estiment que ces disparitions sont pour l’essentiel le résultat d’un braconnage alimentant un trafic. Comptez 1 000 € pour l’achat d’un cygne au marché noir, et une somme encore plus rondelette pour un couple.
« Deux couples de cygnes se partagent habituellement notre petit territoire », explique Dominique Lemée, la présidente de l’association pour la sauvegarde du Bras du Chapitre et de ses abords (ASBCA), qui a pour terrain de jeu les bords de Marne, à Créteil (Val-de-Marne). Si elle note régulièrement des « prélèvements » de cygneaux sur une portée, cette année, « le problème s’est aggravé avec le vol des deux femelles et de leurs œufs ».
Les ailes coupées, ils agrémentent des étangs privés.
À quelques kilomètres de là, les mêmes inquiétudes animent les membres du collectif du lac de Créteil. « La faune sauvage subit une pression considérable en milieu urbain », souligne Michel Noël, l’un des membres fondateurs de ce collectif qui connaît bien ces problèmes de braconnage. Comme pour les carpes, c’est à « une logique de profit immédiat » que sont confrontés ces cygnes et leurs défenseurs.
Parfois écoulés par le biais de plates-formes de vente sur Internet, ces cygnes sont essentiellement appelés à servir d’oiseaux d’ornement pour des étangs privés. Dans ces cas-là, ils sont éjointés. « On coupe le bout de leurs ailes pour les empêcher de s’envoler », indique Jean-Luc Wolf, un autre observateur de la faune sauvage, particulièrement au parc départemental de la Plage bleue, situé à Valenton (Val-de-Marne).
De son côté, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) a été « contactée à trois reprises fin mai pour des vols de cygnes juvéniles sur les bords de la Marne et dans les Yvelines ». « C’est malheureusement loin d’être une première », commente l’association. Dominique Lemée l’affirme : « Le réseau de voleurs sévit aussi à Saint-Maur et à Bonneuil », indique-t-elle.
« Il faut impérativement un flagrant délit »
Du côté du bois de Vincennes, à Paris (XIIe), Jacqueline n’est pas moins inquiète. Cette Parisienne de 71 ans arpente l’immense poumon vert de- puis quarante ans. Plusieurs fois par semaine, elle chemine autour des lacs des Minimes et Daumesnil. « Il y a du braconnage au bois de Vincennes, résume-t-elle. Et pas seulement pour les cygnes. » Comment mettre hors d’état de nuire ces populations de bipèdes mus par l’appât du gain ? « J’ai envoyé des preuves, des photos, ces dernières années, je n’ai pas eu de retour », souffle Jacqueline. « Il faut impérativement un flagrant délit », confirme Dominique Lemée. Et ils sont rares.
En septembre dernier, après avoir échappé au service de sécurité du domaine de Chantilly, dans l’Oise, alors qu’il tentait de subtiliser un oiseau, l’un de ces voleurs de cygnes a été cueilli à son domicile par les gendarmes. En janvier, le tribunal de Senlis l’a condamné à six mois de prison et 500 € d’amende pour s’être introduit dans le domaine. « Je voulais protéger ces cygnes pour les relâcher dans l’Oise (NDR : la rivière) », avait-il marmonné en guise d’explication.